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A Paris


Tu t'es déjà demandé pourquoi tu existais ? Pour quelle raison on t'avait mis sur cette terre ? Moi je cherche encore la réponse. Peut-être que je ne la trouverai jamais. Ou peut-être… peut-être qu'elle n'est pas figée. Une raison mouvante, insaisissable, quelque chose qu'on explique pas, qu'il faut vivre jusqu'au bout.

I

Assise à la terrasse du café, son livre ouvert à la page 418. Paris, un après-midi d'été. Les touristes flânent et elle a le nez sur ces mots noirs imprimés sur le papier. Sur la table devant elle, un verre de Perrier. Des pigeons roucoulent entre ses pieds, aucun ne gêne l'autre dans la vie qu'il mène. La chaleur estivale s'étire partout où la fraîcheur cède sa place. Les corps se mettent parfois à somnoler sous son étreinte. Les rayons percent à travers les arbres et caressent sa peau diaphane.


_ Excuses-moi !


Une voix s'élève soudain à la terrasse. Un couple vient de se disputer, la femme s'est levée et bientôt ne reste plus qu'un dos, une silhouette qui s'éloigne sur les trottoirs de la capitale. L'homme se retrouve seul face à une chaise vide. Sur son visage on peut y lire le désarroi et la tristesse. Il est sur de l'avoir perdu, il ne la reverra plus. Elle lève les yeux de son livre pour voir ce qui se passe. Son regard croise celui de l'inconnu, mais il ne la voit pas. Il ne voit plus rien. Paris n’existe plus. Le monde a disparu sous la tempête de ses émotions. Le temps se suspend pour eux. A son tour il se lève et s'en va. Elle le regarde partir avant de se replonger dans les pages de son livre.


La vie suit toujours son cours, imperturbable malgré l'agitation des histoires humaines.

II

Les bulles montaient contre les parois du verre. La surface lisse est recouverte d'une fine pellicule blanchâtre qui la rend presque opaque. Les glaçons s'entrechoquent lentement, quasiment immergés. Le livre est ouvert à la page 418. Tous ces mots sur la surface blanche. Elle a le regard perdu dans sa contemplation de la rue. Le soleil brille haut dans le ciel et une chaleur lourde s'est emparée de Paris.

L'homme vient de s'asseoir à une table de la terrasse du café. Avec lui une femme. Elle est belle. Une sourire radieux qui laisse entrevoir une personnalité éclatante. Ils sont beaux tous les deux. Et son regard retombe sur les pages de son livre. Le roucoulement des pigeons, les bruits de la capitale en été. Les rires des gens qui profitent de la torpeur du moment. Et puis ces éclats de voix. La séparation de deux âmes qui ont pourtant l'air d'être faite l'une pour l'autre.

III

La glace qui se fend, qui crie sa douleur au contact d'une température trop chaude à son goût, au moment où le serveur pose le verre sur la table de la terrasse. Elle lui adresse un sourire doux et bienveillant avant de le remercier de vive voix. Elle sort son livre du sac à main posé sur le sol à côté de sa chaise. Le marque page dépasse légèrement.

418. Cette voix. Cette silhouette. Lui est seul à regarder les gens marcher dans la rue, ce monde qui n'existe plus. Un souffle frais vient agiter les branches des arbres. Une douceur bienvenue pour cette saison. Les pigeons battent le pavé à la recherche de quelque chose à picorer. Leurs regards se croisent. Elle lui sourit. Il en fait de même au bout de quelques secondes. Mais déjà elle se reperd dans les pages de son livre. L'homme continue de la regarder pendant quelques instants. L'univers reprend contenance et l'existence fait un sens.

IV

Le soleil trône au dessus des toits haussmanniens. Des traces de doigts sur le verre font perler la condensation qui glisse jusque sur la table. Avec la chaleur, les gouttes s'évaporent vite pour ne plus laisser qu'un vague souvenir de leur passage. Les glaçons s'entrechoquent et tintent comme des grelots. D'une main, avec l'aide de son pouce, elle maintient les pages de son livre. 418.


_ Bonjour.


Cette voix, il lui semble la reconnaître. Elle lève la tête pour découvrir l'inconnu.


_ Bonjour, répond-t-elle en souriant.

_ Ça fait plusieurs fois que je vous vois à ce café et… J'ai l'impression de vous connaître.


Elle reste le regarder, haussant les sourcils pour marquer sa surprise et son étonnement.


_ Je ne pense pas, enfin je crois que je m'en souviendrai. Mais asseyez vous, peut-être que ça nous reviendra.


Il prend la chaise en face d'elle avant de lui tendre la main.


_ Je m'appelle Marc.

_ Alice.


Elle pose son livre sur la table, plaçant le marque page pour ne pas la perdre. D'une main, elle attrape son verre et le porte à ses lèvres. Ils se regardent avec quelques hésitations dans le fond de l’œil. La situation n'est pas anodine pour les deux. Le serveur arrive pour prendre la commande de Marc.

V

Deux verres posés sur la table, des éclats de rires. Marc et Alice discutent à la terrasse du café. Ils ont oublié la vie de Paris, pris par leur conversation. Le soleil joue à cache-cache entre les feuilles des arbres. La brise légère vient faire danser les cheveux. Mais ils continuent de se regarder, de se parler. Il ne sait pas comment il a fait pour passer à côté d'elle tout ce temps. Trop occupé à voiler son regard pour l'isoler du monde, du réel. L'homme sourit alors qu'elle lui parle.


_ Qu'est-ce qu'il y a ? demande Alice.

_ Rien, j'aime juste nos conversations, je voudrai que ça ne s'arrête jamais.


Elle lui sourit, elle aussi aime bien leurs conversations.


VI


_ Qu'est-ce que tu lis ? Demande Marc.

_ Oh c'est un vieux livre que j'ai trouvé dans une brocante, mais je n'arrive jamais à dépasser la page 418.

_ Pourquoi ?

_ Je ne sais pas, je n'arrive pas à la tourner.


Alice pose le livre sur la table alors que le serveur s'approche d'eux.


VII


Marc arrive à la terrasse du café. Du regard il cherche Alice. Elle n'est pas là. Peut-être qu'elle est en retard. Il décide de s'asseoir à leur table habituelle. Sur celle-ci, le livre avec son marque page. Il l'ouvre. Page 418. L'homme décide de le feuilleter. L'histoire n'a pas l'air bien passionnante.

Les minutes passent et Alice n'est toujours pas là. Un serveur vient prendre sa commande. Elle n'est pas venue. Il n'y a que ce livre, celui qu'elle ne quitte jamais.


VIII


Il marche dans la rue, le livre à la main. Il ne comprend pas, tout se passait pourtant si bien. Marc décide de feuilleter à nouveau le livre. Sur la page du titre il découvre une adresse écrite à l'encre. Un instant l'homme hésite. Ce livre vient d'une brocante, il s'agit certainement de l'adresse de son premier propriétaire. Marc choisit pourtant de s'y rendre. Par acquis de conscience, parce qu'il n'a rien à perdre à le faire.


La maison bourgeoise est encaissée entre deux immeubles. Elle semble ancienne, le souvenir d'un Paris qu'il n'a jamais connu. De nouveau, une hésitation. Peut-être qu'elle a eu un contre-temps, un empêchement. Peut-être qu'elle a tout simplement oublié. Ce n'est pas la peine de partir à l'aventure pour si peu. Il n'y a que dans les livres qu'il se passe des choses impensables. Marc rebrousse finalement chemin et rentre chez lui.


IX


Il fait face à la porte d'entrée. Elle est a l'air aussi ancienne que la maison. Marc regarde la sonnette. Va-t-il partir cette fois encore ? Il décide que non et appuie dessus. Le tintement résonne dans ce qui doit certainement être le hall d'entrée. Puis le silence. L'endroit semble redevenir calme alors qu'une voiture passe dans la rue derrière lui. Après un temps, la porte s'ouvre enfin sur une personne âgée. Elle adresse un sourire doux et bienveillant à Marc.


_ Bonjour, je peux vous aider ?

_ Bonjour, je suis venue vous rapporter ce livre, Alice l'a oublié au café.


La dame reste le regarder tandis que son sourire s'efface au fur et à mesure. Il ne comprend pas.


_ Je suis désolé, j'ai dû me tromper.

_ Non, dit-elle avec un léger tremblement dans la voix, elle prend le livre pour le feuilleter et s'arrête sur la page de l'adresse puis sur celle avec le marque page. C'est bien le sien.

_ Vous pouvez lui dire que je suis passé ?

_ Non, c'est mieux que vous le lui rendiez.


Sur ces mots elle attrape un papier et un crayon pour noter quelque chose. Suite à quoi, elle le glisse dans le livre et le rend à Marc. Pas un mot de plus. La porte se ferme. Il ouvre le livre et regard ce qu'il y a de marqué. Il lance un dernier regard sur la maison. C'est étrange. Beaucoup de questions tournent en rond dans son esprit, mais il sait qu'il aura toutes les réponses en allant à l'adresse marqué sur le bout de papier. Du moins c'est ce qu'il espère.


X

Ces pas le mènent plus loin dans Paris. Le soleil brille dans le ciel, bel astre imperturbable et merveilleux. Devant lui, des grilles et un portail imposant. Marc vérifie qu'il est au bon endroit. Il s'engage dans l'allée et après plusieurs minutes de déambulation, il s'arrête enfin. Devant lui une pierre tombale.


Alice

1930-1955


Marc est pris de vertige, il s'assoit sur le petit banc derrière lui. Le livre dans les mains, il regarde l'inscription en lettres dorées gravées dans la pierre.


_ Bonjour.


Marc sursaute, c'est elle assise à ses côtés.


_ Tu… Tu es morte ?

_ J'en ai l'impression.


Il se met à fixer le vide, cherchant à quel moment il avait raté quelque chose. Il regard le livre et ouvre la page au niveau du marque page.


_ C'est pour ça que tu ne peux pas dépasser la page 418 ?

_ Oui. Tu peux me lire la fin ? Et après je pourrais enfin partir.

_ Mais… Je ne veux pas que tu partes.

_ Je suis morte Marc. Tous les jours depuis 60 ans je revis cette journée, encore et encore. 60 ans que j'attends, ma place n'est plus parmi les vivants. Il n'y a que toi qui me vois, que toi qui peux me libérer.


Il reste silencieux, triste à l'idée qu'il ne la reverra jamais. Alice le regarde avec douceur et pose une main sur la sienne.


_ S'il te plaît.


Sur ces mots, il ouvre le livre à la page 418 et enlève le marque page. Il commence à lire. Alice ferme les yeux.


_ Tu t'es déjà demandé pourquoi tu existais ? Pour quelle raison on t'avait mis sur cette terre ? Moi je cherche encore la réponse. Peut-être que je ne la trouverai jamais. Ou peut-être… peut-être qu'elle n'est pas figée. Une raison mouvante, insaisissable, quelque chose qu'on explique pas, qu'il faut vivre jusqu'au bout.


Lentement, elle se fait moins nette, un souvenir lointaine d'un passé révolu. Elle va retrouver tous ceux qu'elle a perdu, tous ceux qui sont passés de l'autre côté avant elle. Le ronronnement d'un moteur des années 50, la violence de l'impact. Un cri déchirant qui fait vibrer l'air. Son corps s'efface au fur et à mesure. Fantôme à la dérive, une âme à qui l'on apporte enfin le repos. Alice a disparu. Marc ferme le livre et se lève pour aller le poser sur la pierre tombale. Il reste un peu pour écouter le calme du cimetière. Au loin, le soleil décline enfin sur les toits de Paris. La caresse du vent sur son visage. Le dernier adieu. Enfin, il s'en va, laissant les morts en paix.



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